Contexte - Bilan financier de la crise
Les autorités ont combattu la crise du Covid-19 à coup de zéros ajoutés sur les livres de comptes, dans la version moderne de la planche à billet. Voici l’évolution du bilan des principales banques centrales de la planète :
Ces liquidités ont joué jusqu’à présent leur rôle de morphine monétaire. Les effets de la crise n’ont pas été ressentis : le marché de l’emploi est stable, les faillites d’entreprises ont même diminué, et les comptes / livrets bancaires n’ont jamais été aussi garnis qu’en ce beau mois d’octobre 2021.
Des marchés financiers au beau fixe, vraiment ? (données septembre 2021 – avant l’entame de correction)
Les marchés financiers ne se sont jamais aussi bien portés : vous trouverez ci-dessous en noir la courbe d’évolution du principal indice des actions américaines. Encore plus intéressant, la courbe verte sur le même graphique, qui représente le volume des produits financiers à effets de levier sur le même indice. Il y a clairement eu un changement de comportement depuis le creux de mars 2020 : les spéculateurs s’en donnent à cœur joie.
Lorsque l’on observe les niveaux de valorisation des marchés d’actifs risqués (actions, obligations haut rendement), les actions américaines semblent à des niveaux hors du commun.
Ci-dessous, graphique de gauche : capitalisation boursière des sociétés par rapport aux valeurs ajoutées générées par ces sociétés. Ce ratio est aujourd'hui supérieur à 3.50.
Graphique de droite, le taux de rendement à escompter sur 12 ans pour un investissement réalisé aujourd'hui, sur ces niveaux de valorisation, et selon les normes historiques. Avec un ratio actuel de 3.46, le rendement annuel à attendre sur les actions serait de - 6 % sur 12 ans (en incluant les dividendes). Oui, -6 % avec un moins devant. Par an.
Ces graphiques se basent sur près d’un siècle de données. Certes, les performances passées ne préjugent en rien des performances futures, et le passé ne se répète jamais à l’identique. Par ailleurs, rien n’indique que les marchés vont s’effondrer demain pour revenir à leur tendance naturelle de long terme. Ces graphiques permettent simplement de faire le constat que le marché américain est cher, voire hors de prix.
Les actions américaines constituent le marché directeur, par conséquent, même si certains marchés semblent moins chers à l’heure actuelle (émergents et Europe notamment), d’abord ceux-ci restent à des niveaux de valorisation préoccupants, ensuite, il convient de garder en tête que si une phase de correction significative s’enclenche sur les marchés américains, les phénomènes de liquidation et de corrélation auront pour effet de faire baisser l’ensemble des marchés.
Comment expliquer cette apparente « bonne santé » des marchés financiers ?
Il convient de remettre en parallèle la hausse fulgurante des bourses, avec les tombereaux de liquidités créés par les banques centrales. Il n’y a pas vraiment de lien mécanique entre les deux, puisque ni la Banque Centrale Européenne, ni la Federal Reserve américaine ne créent des liquidités pour racheter directement des actions sur les marchés. En revanche, elles créent des conditions financières extrêmement favorables ayant pour effet de favoriser l’appétit spéculatif des investisseurs, quitte à leur faire oublier le potentiel de perte en capital induit par les niveaux de valorisation stratosphériques des actifs risqués.
Les investisseurs et les spéculateurs, dans leur large majorité, préfèrent aujourd’hui détenir des actifs risqués, plutôt que des liquidités, et ce constat est partagé par absolument tout le monde. Cette donnée est intégrée par le marché, et il s’agit là d’un point très important pour la suite.
Toute la nuance se trouve ici : le prix des actifs ne monte pas par l’effet des conditions financières proposées par les banques centrales, mais plutôt par la croyance selon laquelle l’ensemble de la communauté des investisseurs préfère détenir des actifs risqués plutôt que des liquidités injectées en masse par les banquiers centraux. Cette croyance est aujourd’hui érigée comme un « invariant ». Exemples d’ « invariants » ayant été mis à mal dans l’histoire financière moderne : « l’immobilier américain ne peut que monter » (subprimes 2008) ou encore « les nouvelles technologies entraînent un changement de paradigme dans les niveaux de valorisation » (bulle internet 2000).
Selon la majeure partie des observateurs, les banques centrales ne laisseront plus le marché baisser sérieusement. Il nous semble que le problème avec ce point de vue est qu’il repose sur la croyance que les banques centrales soutiendront le marché de manière mécanique, alors qu’elle repose uniquement sur la psychologie spéculative des investisseurs. Créer plus de monnaie ne constitue pas un paramètre suffisant pour permettre le retour de la spéculation, et ceci a été vérifié lors des crises de 2000 et 2007. De fait, Il est terriblement dangereux de supposer que l’extrême biais haussier de la psychologie spéculative est permanent.
Il sera important de noter que l’appétit pour le risque et que l’assouplissement des politiques monétaires ne datent pas de la crise du Covid-19, mais de bien avant. Il convient cependant de garder en tête que cette crise a accru et a prolongé à l’extrême les distorsions qui étaient déjà présentes.
50 ans de baisse des taux et d’accumulation de dettes
Nous vivons une période passionnante dans la mesure où nous avons vécu depuis les années 70’ (abandon des accords de Bretton Woods et de l’étalon-or) un processus de financiarisation de l’économie et une baisse quasi-continuelle des taux d’intérêts, ayant permis l’endettement global et colossal qui caractérise aujourd’hui nos sociétés. Or, les taux ont atteint le niveau « zéro » et l’ont même dépassé puisque les taux directeurs de certaines des plus grandes banques centrales de la planète sont négatifs, de même que certains emprunts émis par les émetteurs considérés comme étant les plus sûrs (certains états et certaines grosses entreprises privées).
C’est passionnant, dans le sens où cet endettement accumulé de près de 50 années a pu se financer par le jeu de la baisse continuelle des taux, permettant de refinancer facilement les dettes contractées précédemment, et d’en créer toujours plus.
Cette baisse des taux a eu un effet sur les taux de rémunération de l’épargne, notamment sans risque : elle est favorable au débiteur endetté, mais elle est défavorable à l’épargnant créditeur souhaitant obtenir des intérêts sur son épargne.
Une question intéressante est la suivante : que va-t-il se passer maintenant que les taux zéro ont été atteints, a fortiori si l’inflation fait son grand retour ?
La question de la soutenabilité de l’endettement généralisé plaiderait pour une poursuite de la baisse des taux en dessous de zéro, ce qui ne manquerait pas de poser tout un ensemble d’autres problématiques liées à une répression financière qui serait sans doute accrue, et à de fortes poussées inflationnistes.
Mais le retour de l’inflation peut encourager les banquiers centraux à normaliser leur politique monétaire (on parle de « tapering »), en réduisant les volumes de rachats d’actifs et en remontant les taux d’intérêts. Dans ce scénario, difficile d’imaginer comment l’édifice de dette et d’excès spéculatifs pourrait rester intact.
Voilà en quelques lignes le dilemme auquel sont confrontés les gestionnaires d’actifs.
Et maintenant ?
Entendons-nous bien : les corrections de marché pourraient tarder à arriver, et les autorités monétaires veillent à la stabilité financière. Celles-ci disposent encore d’outils pour faire durer la croyance évoquée précédemment. Un krach de marché n’est par nature pas prévisible, cependant, compte tenu de ce qui a été évoqué, il semblerait que la prise de risque sur les marchés devienne de moins en moins bien rémunérée au fur et à mesure que les marchés montent, ce qui plaiderait pour une position attentiste.
Bien entendu, la position d’attente n’est pas enviable à long terme, pour des raisons évidentes tels que les faibles rendements, et l’assujettissement au risque inflationniste induisant à long terme une potentielle perte de pouvoir d’achat sur les sommes épargnées.
Cependant, dans le contexte actuel inédit, détenir des liquidités en portefeuille pourra s’avérer à un certain stade extrêmement intéressant pour bâtir et compléter une allocation d’actifs dans les meilleures conditions possibles. Comme en immobilier, les bonnes affaires se font souvent à l’achat, plus rarement à la revente… En travaillant rigoureusement les points d’entrées, de nombreux investissements offriront des potentiels de rendement extrêmement intéressants à long terme, notamment dans les domaines de la transition énergétique, de la technologie, de la santé, des infrastructures, et bien d’autres thèmes encore.
Cela ne signifie pas qu’en matière de gestion de patrimoine, il n’y a rien à faire actuellement, bien au contraire. Certaines classes d’actifs alternatives méritent une attention particulière (notamment : immobilier sous ses formes les plus abouties, métaux précieux, investissements dans les sociétés non cotées…).
Quelques anecdotes et développements au cours de ces derniers jours sur les marchés financiers
Au cours des 16 derniers mois, dès que le comportement des investisseurs est passé en risk-off, les acheteurs sont systématiquement arrivés dès le lendemain. Mais compte tenu de la baisse récente, il s’agit de la fin de la plus longue séquence de comportements risk-on en 22 ans selon cet indicateur :
La corrélation entre les actions et les obligations reste élevée (no place to hide, nulle part où se cacher, les obligations ne protègent plus des baisses des actions) :
Le sujet épineux du retour de l’inflation
Selon Holger Zschaepitz – Die Welt, pour mettre les choses en perspective, la dernière fois que l'inflation était supérieure à 4 % %, le taux d'intérêt directeur était de 6 % ; Aujourd'hui, il reste arrimé à 0%.
L’indice de référence de la zone euro en gaz naturel est maintenant en hausse de 26 fois (!) Par rapport à son plus bas en mai de l'année dernière.
Inflation allemande au-dessus de 4 % :
L‘inflation de la zone euro en septembre 2021 est très au-dessus de l‘objectif de la BCE (3,4% contre 2%), sans que cette dernière ne modifie absolument rien à sa politique monétaire hyper-expansive (QE + taux négatifs), qui a pour effet d’accélérer l‘inflation.
Le terme de « stagflation », évoquant une situation d’inflation élevée accompagnée d'une croissance faible, se retrouve beaucoup dans la presse grand public ces derniers temps. Nous ne sommes pas encore dans cette situation, mais c’est à surveiller.
Pour le moment l'activité commerciale décélère alors que l'inflation reste historiquement élevée.
L'ensemble des politiques pour résoudre un problème aggraverait l'autre.
Notez qu'une divergence similaire s'est produite avant la crise financière mondiale de 2008.
Quelques mots sur la baisse des cours de l’or
Une fin de trimestre très compliquée pour l’or. Il faut savoir que lorsque la tendance de l'or est à la baisse et que les hedge funds ont des positions "short" (à la baisse) significatives, ils aiment appuyer leur position et maximiser leur bonus, calculé justement en fin de trimestre. Cela se termine généralement le dernier jour du trimestre ou la veille
Pourquoi les hedges funds sont short d’or ? Parce que contrairement à des investisseurs achetant de l’or dans une perspective long terme, en se basant sur les fondamentaux, les hedges funds profitent des taux bas et de l’argent gratuit pour shorter à court terme en ayant en vue les perspectives de tentatives de tapering imminent (hausse des taux inversement corrélés à l’or), qui pourrait échouer bien entendu, mais plus tard. En attendant, leur pari trimestriel s’avère gagnant et ils appuient dessus juste à la fin du trimestre pour maximiser leur bonus. Ce qui s’est vérifié avec la forte baisse en toute fin de trimestre, puis une hausse phénoménale le dernier jour du trimestre lors des débouclages de shorts.
Les cours de l'or, une pause dans un marché haussier à long terme ?
Le retard des mines d'or, en comparaison des cours de l'or :
La Tech vs les mines d'or :
Andy BUSSAGLIA est conseiller en gestion de patrimoine depuis plus de 10 ans.
Il est associé-gérant du cabinet Family Patrimoine à Meylan, près de Grenoble.
Lien vers son parcours
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